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La traduction commerciale du community management (2/2)

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« Dès lors que l’on s’intéresse aux actions qui visent à capter un public, on s’aperçoit que ces actions s’appuient généralement sur des dispositifs ad hoc, dont la principale particularité consiste à mettre en jeu les dispositions que l’on prête (que l’on suppose ou que l’on attribue) au public visé. » (F. Cochoy, La captation des publics, 2004).

 

En prolongement de la réflexion sur le poids du marketing dans la conception contemporaine du community management au service des annonceurs, attachons-nous à saisir rapidement la tension inscrite au cœur même de l’activité. Tiraillés entre un idéal d’interactivité et de connaissance du client, d’un côté, et un impératif d’efficacité dicté par le marketing, de l’autre, les community managers font l’objet de considérations opposées et, souvent, antagonistes.

 

C’est pour mieux te (faire) parler, mon client

Du point de vue des spécialistes du marché, les médias sociaux tendent à être considérés comme des dispositifs de captation (Cochoy 2004), dont l’efficacité repose sur leur capacité à répondre efficacement et rapidement aux besoins des usagers. Ces dispositifs consistent en l’ensemble des méthodes déployées par les CM, sous le terme de « ligne éditoriale », pour qualifier, séduire, attirer et fidéliser des internautes sur les espaces qu’ils animent.

Comme tout dispositif, la ligne éditoriale d’un espace numérique de marque prend appui sur des dispositions prêtées aux internautes, lesquelles orientent la façon de se comporter à leur égard. Comme l’a bien noté le sociologue français P. Ughetto : « dire ce qu’est le client, c’est surtout dire la manière dont il faut agir face à lui et donc ce qu’est (ou doit être) le prestataire. La figure du prestataire est inévitablement le double de celle du client. » (Ughetto, 2002, p. 100). En d’autres termes, pour prendre un exemple parlant, on ne s’adresse pas de la même manière aux fans de la page Facebook de Curly ou M&M’s qu’à ceux d’AXA ou de SFR. Normal, me direz-vous, ce sont des secteurs d’activité fort différents ! Précisément, c’est bien de cela qu’il s’agit. Les clients de l’une ou l’autre marque font l’objet de représentations particulières de la part des entreprises, lesquelles adaptent le ton (et le contenu) de leur communication en fonction de celles-ci.

Qui plus est, les plateformes du web social – et Facebook en particulier – soulèvent une difficulté supplémentaire. Leur fonctionnement en clair-obscur (Cardon, 2008), autorisant les usagers à paramétrer la visibilité de leur profil, interdit aux marques d’avoir un accès direct à leurs données personnelles. Dès lors, la connaissance des clients passe largement par cette disposition à s’adresser aux organisations, à solliciter d’eux-mêmes des informations de la part des marques, sur leurs espaces officiels. La propension des internautes à vouloir parler aux marques est l’une des principales dispositions qui leur est attribuée par les professionnels des marchés en ligne.

Comme le constate K. Mellet dans un bon article de synthèse consacré aux agences de Social Media Marketing, celles-ci « ne s’intéressent (…) pas au consommateur tel qu’il est décrit dans la théorie économique standard, à savoir comme un être isolé et autosuffisant ; au contraire, elles le considèrent comme être fondamentalement social, situé dans des réseaux de relations personnelles, et bavard. » (Mellet, 2012, p. 154)

On observe au tournant des années 2010 une prolifération des « courants » du marketing, qui prennent appui sur cette inclination des internautes à partager du contenu. À titre d’illustration, citons l’ouvrage de Dave Evans, vice-président de la stratégie sociale de l’agence américaine Lithium, Social Media Marketing : An Hour a Day (2012, 2ème édition), qui affirme :

« Les médias sociaux et le bouche-à-oreille sont fondamentalement reliés par le fait qu’ils prennent tous deux appui sur le consommateur pour initier et faire durer la conversation. »

Evans note que le défi des marketeurs est désormais de faire du marketing sans utiliser de publicité, et prône une expérience authentique et un réel sujet de discussion apporté aux internautes. En bref, l’idée est bien de transformer la nature même du marketing pour lui permettre (enfin ?) d’identifier réellement les cibles, au-delà de grossiers segments d’audience ou de catégorisations homogénéisantes, et d’entamer un dialogue « one-to-one ».

Le dialogue personnalisé, idéal du marketing relationnel

Le dialogue personnalisé, idéal du marketing relationnel

Animateur de communauté ou marketeur 2.0 ?

Depuis la publication des références « classiques » sur l’usage commercial du web, discutées dans la première partie de ce texte, une multitude d’acteurs des sciences de gestion ont entrepris de déployer une somme d’efforts considérable pour placer l’activité d’animation communautaire en ligne sous la bannière du marketing. Si les écrits de certains analystes anglo-saxons, fondés sur des observations durables et des études de cas, ne manquent pas d’intérêt, leurs innombrables reprises et leurs traductions approximatives sur des blogs francophones continuent à alimenter le trouble quant aux finalités des usages des médias sociaux par les annonceurs de tous horizons. Le rôle du community manager en particulier oscille fortement entre communication et marketing, entre relation client et impératif d’efficacité marchande à court terme.

Ainsi en est-il en France de L. Bour, initiateur du blog Le Journal du CM, qui a publié coup sur coup, à peu près à la même période, deux articles dédiés aux liens entre community management et connaissance client. Le premier de ses textes vise, en gros, à définir le marketing relationnel, entendu comme le rôle du…  community manager, évidemment.

 « Marques et consommateurs se rapprochent de plus en plus grâce à des implications de la part des fans, mais aussi parce que les marques visent dans leurs stratégies, l’échange et le collaboratif. (…) Saisissons les rôles du Community Manager dans ce rapprochement, ils sont fondamentaux dans la mesure où c’est ce à quoi il contribue en instaurant un dialogue pour la marque qu’il représente… le marketing et le community management, un travail d’équipe. » (L. Bour, 29 octobre 2013)

Un rapide passage en revue de la plupart des pages Facebook de marques en France soulève aussitôt un doute face à cette affirmation. Les marques visent-elles vraiment l’échange, le dialogue ? Et quand tel est le cas, cela fonctionne-t-il ?

Dans son article consacré à l’activité professionnelle de CM en agence, K. Mellet n’a pas manqué de relever que le community manager se trouve fréquemment « en tension entre un idéal d’engagement fort des membres de la communauté et la pauvreté des interactions, tension qui le conduit à susciter des mobilisations qui reposent sur des ressorts instrumentaux. » (Mellet, 2012, p. 167).

Par ailleurs, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le montrer sur ce blog, la mainmise du marketing sur l’animation d’espaces dits sociaux ne va pas sans susciter l’agacement, voire la colère de certains community managers. Comme l’écrit T. Gouritin sur le blog MyCommunityManager, en septembre 2013 :

« Vu que les contenus partagés [par les marques] étaient vite “viralisés” par la “communauté” les gourous du marketing y ont vu une opportunité à saisir. (…) Il fallait bien que les marques profitent de cet espace supposé gratuit pour y monter des opérations propres à “faire le buzz” pour fidéliser leur “communauté” de clients et leur donner un avantage concurrentiel et une valeur ajoutée “sociale” aussi artificielle soit elle. » (T. Gouritin, 4 septembre 2013)

Le nombre de guillemets employés en dit long sur le regard porté par l’auteur sur tous ces buzzwords du Social Media Marketing. Les stratégies utilisées par les marques, nous rappelle le jeune CM, se résument dans la plupart des cas à l’une des trois actions suivantes : payer pour être vu (c’est-à-dire mobiliser des publications sponsorisées ou des Facebook Ads), poster des images de chatons pour générer du like, ou faire le buzz, « à tout prix, quelles qu’en soient les répercutions ». Autant dire que nous sommes alors bien loin de l’idéal du dialogue et de l’échange constructif vanté par L. Bour et la plupart des nombreux experts du web social.

Like mon message, ô fan engagé, ou je trucide le gentil petit chaton !

Like mon message, ô fan engagé, ou je trucide le gentil petit chaton !

Notant que « la confiance entre marques et consommateurs s’effrite », voire « n’existe même plus pour beaucoup qui voient dans cette présence “sociale” des industriels une nouvelle étape dans l’invasion publicitaire », T. Gouritin propose alors l’évolution suivante :

« Du vrai Social CRM avec des community managers qui ont de l’espace pour s’exprimer et qui sont bien intégrés dans la société, du contenu de qualité pour son audience, voila un début de recette » (ibid.)

De fait, les récentes évolutions du community management de marque tendent à rapprocher cette fonction d’intermédiation d’une forme de gestion de la relation client (CRM). Le second texte de L. Bour, qui franchit un pas supplémentaire par rapport au premier en plaçant directement le community manager au service du marketing, se dirige également vers cette conclusion. Dans l’optique du marketing, nous dit l’auteur du texte, la fanpage Facebook d’une organisation devient « une source d’informations » primordiale, permettant, par l’intermédiaire du community manager, de « collecter l’information directement auprès de sa communauté ». Décrit comme un « élément charnière » du rapprochement entre marques et consommateurs, le community manager apparaît en quelque sorte, à travers le propos de L. Bour, comme le nouvel opérateur d’un marketing relationnel.  Or, nous l’avons dit – ou plutôt, les CM eux-mêmes le disent ! – la page Facebook ne permet pas de collecte d’informations directe sur les fans. La multiplication des offres commerciales de développement d’applications  destinées à favoriser l’activité des fans sur une page et à créer une dynamique globale (quizz, concours photo ou vidéo, etc.), telles que celles de SocialShaker, est concomitante de cette difficulté dont elle tire parti.

De plus, il est indéniable que la majorité des CM tient au sujet du marketing un propos ambivalent, dans lequel l’impératif d’efficacité et le « Saint Graal » du ROI apparaissent davantage comme des contraintes pour le développement d’une relation pérenne avec la « communauté », que comme un moteur d’une forme améliorée de relation client.

En conclusion, nous dit L. Bour, « il faut retenir une chose, que le Community Management a bien sa place dans le Marketing et la communication d’une entreprise et que ses services peuvent vraiment travailler ensemble sur des projets d’envergure qui construisent une marque et instaure (sic) une notoriété auprès des consommateurs. » (L. Bour, 31 octobre 2013). La notoriété équivaut-elle à la relation, dès lors ? L’affichage publicitaire poursuit-il les mêmes objectifs que les dispositifs de gestion de la relation client ?

Tant que ces amalgames, largement relayés par ce type d’articles de blog, perdureront, il est à craindre que les efforts des CM en vue d’une reconnaissance professionnelle ne continuent à se heurter à l’incompréhension des annonceurs… et des internautes. En tout état de cause, ce type de point de vue, largement répandu aujourd’hui, illustre avec force le fait que l’animation communautaire est devenue le pivot d’un nouveau mythe économique, qui entérine « l’affaiblissement du pouvoir « corporate » (…) par un empowerment des consommateurs, prosumers organisés en communautés. » (Mellet, 2009, p. 269).

Tell me more about your brilliant Social Media Strategy…

Tell me more about your engaging Social Media Strategy…

Diffuser ou dialoguer, il faut choisir

Le poids de la conception marchande du rôle du community manager n’est pas sans effet sur les usages effectifs du web social par les annonceurs. Lorsque la visibilité de la marque, sa « présence à l’esprit du consommateur », est érigée en impératif et déclinée sur les médias sociaux, ceux-ci ne courent-ils pas le risque d’être réduits à la première particule de leur nom composé ?

Il y a plus de cinq ans de cela (preuve que le changement de mentalité ne s’effectue pas aussi rapidement que ne le laissent penser certains Social Media Gurus intéressés), en novembre 2008 précisément, Fred Cavazza notait déjà que l’attraction de consommateurs potentiels sur un espace tel qu’une page Facebook ne constitue en rien une stratégie communautaire, et qu’une telle stratégie ne saurait se contenter d’un modèle de communication de type publicitaire.

« Je vois beaucoup trop de marques et annonceurs qui cherchent à se rapprocher de leurs clients / prospects avec une présence sur les plateformes sociales. Est-ce qu’un profil ou une application Facebook permet d’initier le dialogue entre une marque et ses clients ? Non pas du tout. Cela permet juste à la marque de s’exprimer aux côtés des autres. Mais est-ce bien efficace ? (…) Il en faut plus pour se rapprocher réellement des clients, c’est un travail de terrain laborieux qui passe obligatoirement par des échanges de personnes à personnes, un dialogue entre un représentant de la marque et un client, pas un bref échange entre un support de campagne et une cible non-identifiée. Si vous diffusez un film à caractère viral, vous n’êtes pas en train de dialoguer avec vos clients. Si vous publiez un widget sur Netvibes ou Facebook, vous n’êtes pas en train de dialoguer. Si vous lancez une campagne où des blogueurs gagnent des lots en relayant votre message, vous n’êtes pas en train de dialoguer. » (F. Cavazza, 20 novembre 2008).

Appelant les marques à « investir sur des profils de community managers », Cavazza faisait explicitement référence à une démarche conversationnelle, et non à un dispositif de type publicitaire, où un « message fort » amènerait l’internaute à la marque (selon l’expression de L. Bour) pour ne pas savoir ensuite que faire de cette présence. Est-ce bien sur la fanpage d’une marque, à laquelle il n’est attaché que par une mention « like » volatile qui ne dit rien ni de la forme de son attachement, ni de son intérêt à l’égard des publications de celle-ci, que l’internaute, aussi « fan » soit-il, fait part de ses comportements d’achat ? Est-ce là que, par un commentaire ou, plus rarement, un partage, il contribue à la construction de l’identité de la marque ? Il me semble qu’il est permis d’en douter, fortement même.

Dans tous les cas, le community management tel qu’il résonne aujourd’hui à l’oreille du plus grand nombre, est bien un enfant (terrible ?) du marketing. Pour le meilleur et pour le pire, est-on tenté d’ajouter.

Références académiques

Cardon Dominique (2008), « Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0 », Réseaux, vol. 26, n° 152, p. 93-137.

Cochoy Franck (2004), « Introduction. La captation des publics entre dispositifs et dispositions, ou le petit chaperon rouge revisité », in F. Cochoy (dir.), La captation des publics. C’est pour mieux te séduire, mon client…, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.

Mellet Kevin (2009), « Aux sources du marketing viral », Réseaux, vol. 5-6, n° 157-158, p. 267-292.

Mellet Kevin (2012), « Contagion, influence, communauté. Petite socio-économie des agences de social media marketing », in Cochoy F. (éd.), Du lien marchand : comment le marché fait société, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, p.151-173.

Ughetto Pascal (2002), « Figures du client, figures du prestataire », Sciences de la société, n° 56, p. 99-113.

 

Ouvrage cité

Evans Dave (2012), Social Media Marketing: An Hour a Day, John Wiley & Sons, 2nd  edition.


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